Auteurs / Authors : Pierre Lebon, Marie Fricout, Garance Coquart, Irene Tchernooutsan
Description : Mise en scène d’une visite touristique au sein du quartier La petite France à
Strasbourg; Visite prévue pour tous les participants au programme de recherche Play/Urban.
Axes de recherche / Research axes (Play/Urban) :
-Play/game
-People as infrastucture
-Théâtre des opérations
-generate audiences
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In situ
médium :Guide touristique professionnelle, une cinquantaine de faux touristes équipés (appareil photos, tenues de touriste)
genre : performance/ visite guidée
concept : rejouer, remettre en scène une situation dans son lieu d’origine.
participants : Faux touristes, vrais touristes de la Petite France, policiers, étudiants, chercheurs et participants au séminaire de
recherche Play/Urban.
durée :30 minutes
ville : Strasbourg.
Questionnements :
– questionner la mise en scène d’une ville
-Analyse de l’évolution du quartier de la petite France, l’influence des images folkloriques d’Hansi, le passage d’une image 2D à un espace en 3D
-Réflexion sur le tourisme : l’expectative : relation entre un lieu et son image, l’impression de déjà-vu, les mécanismes de cadrage d’un environnement, le tourisme de masse et les phénomènes de foule, l’habitation d’un lieu par le tourisme.
-rassemblement indiscernable, mise en scène sauvage > people as infrastructure
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Analyse critique / Critical analysis : difficulté à restituer le projet à posteriori, rapports complexes entre mise en scène d’une performance et prise au piège d’un public
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Protocoles (collectif) d’action / (collective) Action protocols : Proposer une visite à des invités, engager des figurants et réorganiser la dynamique d’un quartier.
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C’est peut-être parce que la petite France est un des quartiers dont on a le plus de mal à s’emparer lorsque l’on habite à Strasbourg, que nous avons décidé d’aller y mettre les pieds. C’est aussi pour cette étrangeté qui s’en dégage, cette impression de décor, ce calme mystérieux, et ces pavés trop propres que nous y avons été attirés. Et nous ne sommes pas les seuls, chaque année la petite France se voit traversée par des foules de touristes venus admirer ses charmes.
Entre image carte postale et décor de cinéma, la petite France nous a questionné sur le rôle qu’elle jouait dans la ville de Strasbourg, la façon dont elle y avait été figée, dont on en avait fait une image en trois dimensions. Après avoir été vidée de sa population, après avoir été rénovée selon un imaginaire bien précis (celui, par exemple, du dessinateur Hansi), après avoir mis à nu ses poutres et autres colombages, La petite France s’est peu à peu transformée en un quartier exclusivement dédié au tourisme.
En se promenant régulièrement dans ce quartier, plusieurs choses nous ont surprises : la taille du quartier qui se résume à quelques rues autour de l’eau, le calme et la flânerie provoqués par le lieu, le caractère figé de ses façades et enfin la façon dont les rues sont à certaines heures rythmées par les flux des groupes de touristes et à d’autres (notamment la nuit) totalement vides et silencieuses.
Après avoir expérimenté de différentes manières le statut d’image que portait la Petite France, c’est à travers le guide touristique que nous avons décidé d’en parler. Nous en sommes venus à proposer une visite guidée orchestrée. Pour cela nous avons demandé à une guide professionnelle de faire une visite classique de la Petite France, (selon un parcours que nous avions déterminé, qui tournait autour de l’eau) à nos invités sud africains venus pour le workshop. En parallèle nous avons demandé à une cinquantaine de figurants, de venir jouer des groupes de touristes ainsi que leurs guides. Nous avons chorégraphiés tous leurs déplacements en fonction du trajet du groupe des invités, remplissant totalement la petite France, le temps d’une soirée, de ces groupes de touristes habillés de toutes sortes de casquettes, bermudas à poches et chemises à fleurs. Ainsi le groupe de nos invités a suivi une visite de la petite France, parfois entourés de tous côtés par ces faux touristes, parfois physiquement bloqués par ceux-ci sur un pont. À d’autres moments ils pouvaient voir les touristes figurants, sur l’autre rive, effectuant des gestes, déplacements et cris d’étonnements synchronisés. A ce grand spectacle vinrent s’ajouter quelques policiers qui, à leur tour, suivirent la marche.
Lors de cette soirée nous avons fait de la petite France notre plateau de jeu, notre décor de spectacle, et nous l’avons fait franchement balancer entre réel et artificiel, jouant de ce qui est vu et ce qui est montré. Certains de nos invités ont rapidement décelé cette grande chorégraphie, d’autre à aucun moment. Les explications et discussions autour du projet ont eu lieu le lendemain.
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Références et inspirations :
livre : City of Quartz – Los Angeles, capitale du futur, Mike Davis 1997. Editions La Découverte
artistes : Myoung Hoo Lee et Leandro Erlich
films : Intervista Federico Fellini, 1987 et Playtime de Jacques Tati, 1967
Récit d’Émilie Albert
“Le groupe est formé. Je sais plus ou moins ce qu’il va se passer : il y aura de faux touristes, une vraie guide et de vrais touristes. Du faux dans du vrai, du vrai dans du faux. Ca commence. J’aperçois un groupe de faux touristes, un petit rire m’échappe, ils sont complètement ridicules et surjouent largement. Les Sud-Africains vont tout de suite comprendre !
Pas plus de réactions que ça autour de moi, étonnant ! Certains commencent à se poser des questions ‘I think that’s fake…!’, ‘I don’t think so…’. L’apparition de nouveaux ‘fake tourists’ me fait sourire et me surprend à chaque fois. Me font encore plus sourire les bribes de discussion autour de moi. Certains des sud africains ne semblent pas vraiment étonnés par ces ‘ultratouristes’.
La police est aussi de la partie. Etait-ce prévu ? Je ne crois pas. Du coup j’ai le doute…”
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Récit de Clémentine Cluzeaud
La Petite France : j’étais une spectatrice mais avisée et je me rappelle avoir suivi la visite guidée avec les profs sud africains, pas au courant donc. Ce qui était chouette, c’est que ça cognait le réel. Je veux dire qu’au delà du fait que les gens ne soient pas au courant/ soient au courant/ soient mi-au courant mi-raisin, d’autres touristes se mélangeaient à nous, nous rencontraient sur le pont et formaient une espèce de chorégraphie où le punctum a été atteint quand nous étions sur l’écluse. Des danses de vrais touristes, de faux touristes avec leur tronches de faux touristes, de nous, trop nombreux sur le petit pont, tous bloqués qu’on était. Judith, mon ancienne coloc, quand elle parle de son travail, elle parle d’orchestration du réel et je trouve que c’est un joli mot pour ce projet. Injecter du fictionnel, garder des traces clairement signifiantes de la fiction mais que ça bouillonne de réel.Ca me rappelle un spectacle que j’ai vu : Labbo Lube. Un des acteurs surgit sur la scène et se tamponne l’arcade en disant qu’il fallait arrêter, qu’il s’était cogné. Et puis y’a l’autre actrice qui débarque en disant que c’est vrai, et demande à ce que tout le monde sorte. On était tranquilles dans le noir et la lumière se rallume : on rigole plus. Je vois débarquer la régisseuse que je connais en blouse de medecin sur la scène. Bon on sort tous, on en parle. On se dit c’est une blague. Et puis la pièce reprend. Deux ans plus tard, j’ai croisé cette régisseuse qui m’a dit que l’acteur s’était effectivement blessé et la blouse c’etait une coincidence….
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Récit de Jc Lanquetin
Je m’amuse beaucoup ce soir là. Je connais le projet et m’amuse du fait que les sud africains et autres invités vont comprendre ou pas que tout est faux autour d’eux, du moins pas tout de suite. Autour du ‘vrai’ groupe (les invités aux workshop qui ne connaissent pas Strasbourg), ils sont bien une quarantaine d’étudiants, dont beaucoup que je reconnais, à passer par groupes à plusieurs reprises, très près de nous. Ils jouent avec la limite du perceptible, ils s’affichent ostensiblement, ils posent, ils sont quand même des touristes un peu étranges pour qui y prend garde. Mais justement, on y prend pas garde tant la convention du lieu est d’accueillir des grappes d’étranges étrangers. La manière dont les étudiants imaginent et jouent les touristes est drôle pour qui connaît le projet, mais c’est intéressant aussi parce que pour le coup la Petite France qui est déjà un morceau de ville devenu totalement carte postale, l’est encore plus. Et le sentiment d’être un spectateur dans un monde totalement superficiel est très fort. Pourtant nous sommes un morceau de ville très ancien, mais là il n’a plus aucune consistance. Il est devenu un décor, une apparence, une fiction. C’était déjà le cas mais ce projet le révèle de manière encore plus manifeste.
Une image d’une invitée (Ben Ricksaw) amusée, et derrière, des faux ‘touristes’.
Autant ce qui m’intéresse le plus souvent lors une intervention performative dans la ville, c’est l’indéfinition d’une position de spectateur – entre spectateur et individu – autant ici, c’est la position de spectateur qui est exacerbée. Cela révèle une ville qui n’est plus qu’un décor, qui n’a plus grand chose de vivant, où il est devenu impossible d’être vivant. C’est parce que je connais ce qui est en jeu que je m’amuse, car autrement il est devenu impossible de mettre les pieds à la Petite France tant cette partie de ville n’est plus même de la ville, tant mon corps n’y a plus sa place. C’est un nulle part, un lieu devenu sans ancrage urbain, sans respiration. Un lieu étouffant, d’autant qu’on sait qu’il s’agit d’un quartier ancien – que j’ai connu vivant et populaire, il y a une trentaine d’années -. Or, tout le centre de Strasbourg est devenu plus ou moins ainsi (cf la période de noël où la ville devient un immense marché touristique et où traverser la ville devient une épreuve). C’est un sentiment particulièrement fort devant la Cathédrale. La ville est lisse, propre, agencée dans les moindres détails, contrôlée, rien ne semble plus dépasser. Ce n’est plus une ville pour ses habitants, c’est un décor, une fiction historique, une machine à fric pour touristes. Et cela marche.
Une dernière chose, amusante : les flics chargés de la surveillance du quartier, avaient eux, repéré qu’il se passait quelque chose d’inhabituel.
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