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LE MARCHÉ DE LA MEINAU
Amélie BULTIES

Manège

Dispositif audio de diffusion par casque pour entendre les bruits, voix multiples du marché, dans un contexte intimiste, permettant de se l’approprier en accédant à sa propre intériorité. Comment un contexte d’échanges et de partages peut produire des sentiments paradoxaux et amener à une remise en question sur soi même ? 

Le marché de la Meinau est un petit monde concentré en un point, il y a les couleurs, les matières, les bruits, les personnes, les langues, les intonations… tout un ensemble organisé, étudié, aménagé pour favoriser les échanges entre chacun, commerçants et acheteurs, monsieur et madame, enfants et parents. Des instants de partages où des liens, des amitiés, des habitudes se créent.

C’est un mélange de cultures et d’histoires comme celle de ce commerçant égyptien dont j’ai dessiné le portrait ; il m’a parlé de sa vie, avant, ailleurs et ici, du marché maintenant…

Le marché est un ensemble éphémère de tables, de tréteaux et de chaises, en un instant, tout prend forme et devient vivant, en un labyrinthe instable. Au milieu de ces structures individuelles et fragiles que je perçois comme des murailles infranchissables, dessinant un chemin dans lequel je m’enfonce, sans autre choix que d’avancer jusqu’au bout pour enfin trouver une issue. En cette atmosphère bienveillante et familiale, je ressens un malaise inexpliqué qui se répète depuis ma première visite.

J’ai l’impression d’être enfermée dans un labyrinthe. Je sens comme un poids au-dessus de ma tête, je sens mes pas entraînés par la houle des passants autour de moi, je me retrouve comme dans un manège, bloquée dans une dynamique, un module tournant sans cesse, sans moyen de m’échapper. Je me sens stimulée de toutes parts, trop et partout à la fois. Les couleurs vives, les bruits et les voix qui surgissent instantanément, créent des rythmes saccadés. Les regards entrecroisés, les appels et ma voix qui ne porte pas assez pour que l’on m’entende, je me sens noyée, perdue, sans pouvoir aller à l’encontre de cette vague immense.

Puis, peu à peu, certaines choses me paraissent plus claires ; le problème doit venir de moi.

Je suis extérieure de cette dynamique, tout va trop vite pour moi, trop de choses arrivent en même temps, je ne sais pas prendre le temps. Je fuis, j’effectue des passages répétés, toujours dans la même direction, par ce que j’ai la sensation que je n’ai pas d’autres choix que de suivre cette ligne marquée.  Parfois, je m’arrête quelques instants, le temps d’un échange. Un sourire, ou des gros yeux. Lorsque je croise un visage connu, je me sens comme prise la main dans le sac, en plein délit de fuite. Et pourtant, il y a tout ces détails qui m’attirent, mais je suis submergée par cette force qui m’écrase. Il y a aussi ces moments plus calmes, où je prends le temps d’observer et de ressentir les choses. Ce sont les souvenirs et le recul qui me font voir ce que je n’ai pas aperçu sur le moment, il faut y revenir. Le marché est une répétition, il se construit tous les jours sur une même base, pourtant ne vit jamais de la même façon. Alors que je revenais chaque fois avec cette même sensation, cette même barrière inconsciemment créée, je ne me rendais pas compte que je n’étais pas une « pièce à part » du marché, mais que je faisais partie de sa dynamique et contribuais à son mouvement, que j’y avais un rôle involontaire et longtemps fui.



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