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Bamako – Les Praticables
par Jc Lanquetin

Quelles esthétiques théâtrales et artistiques, quelles écritures pour un festival dans la ville ? À  Bamako, le projet des Praticables se nomme comme la « fabrique d’un théâtre d’art populaire ».  Comment ces termes résonnent-ils en lien avec le contexte de cette ville, en lien avec une  histoire du théâtre ici, bien réelle et depuis longtemps. Et aussi me semble-t-il, en lien avec ce à  quoi ces termes renvoient dans l’histoire du théâtre européen : théâtre d’art, théâtre populaire :  quelles formes, pour qui ? C’est une question vivante car il y a ici une aspiration, un désir  d’inventer – d’arpenter – des esthétiques qui mettent en fiction les histoires qui résonnent.

Et puis, il y a l’inscription de la théâtralité dans l’espace urbain… Cela a toujours existé sous une  multitude de formes mais cela n’enlève rien au fait que cette ville, comme tant d’autres, est un  réservoir de potentialités, de possibles, à partir du moment où l’on s’éloigne de la référence à  l’espace théâtral classique (la boite scénique comme archétype) et si l’on considère le théâtre  comme proche de la vie, comme étant la vie. Envoi à John Cage qui via Artaud déploie l’idée que  tout est théâtre du moment qu’il est fait appel collectivement à la vue et à l’ouïe. Définition qui a  l’immense mérite d’éloigner les conventions, de réinscrire le geste scénique dans son contexte,  d’ouvrir à l’insoupçonné. La proximité avec la vie qui s’invente comme potentiel de création  éloigne le fantôme occidental qui hante ici dès que l’on pense espace scénique. Nous tentons, à  Bamako, de déplacer, voire de dépasser ce fantôme tout en construisant de réelles conditions  pour une écoute et une vision collective. Trop souvent les conditions matérielles de l’attention  sont laissées pour compte lorsqu’il s’agit d’environnement urbain. Or, pour prendre un extrême,  l’enjeu serait celui d’une qualité d’écoute digne d’un spectacle de Claude Regy, mais dans un  contexte saturé d’ordinaire.

C’est notamment à cela que le projet des chaises travaille. Ces chaises, confortables, tressées de  fils de couleur existent partout dans la ville, objet très beau. Un jour en marchant dans la rue,  nous imaginons qu’elles peuvent devenir des ‘gradins’ non autoritaires, des assignations souples.  Nous, c’est Clara Walter, Siriman Dembele et moi-même. A Bamako ces chaises sont de formes,  de hauteurs, d’assises différentes et bien sûr la couleur, souvent vive, des fils de nylon varie. Ces  chaises sont devenues nos gradins. Nous en avons fait construire des dizaines. Clara ajoute que  leur présence théâtrale est amplifiée du fait de l’ajustement de leur forme, de leurs proportions,  des accoudoirs, etc. pour les besoins du théâtre. On le voit d’ailleurs, ce sont les plus hautes qui  sont les plus prisées. Cette simplicité du geste parle à tous. Les chaises que nous faisons  construire ont une assise à 70 et 110cm, sachant que des chaises et des banquettes à 40cm de  haut, voire moins, on en trouve partout et que l’on peut aussi ajouter des nattes. Ainsi, 60 chaises  hautes font un public d’au moins le double. Ces chaises génèrent des espaces qui sont à la fois  extra-quotidiens et habituels, on peut les déployer partout, dans une cour, dans une rue… Le  ‘gradin’ qu’elles constituent se fait variation souple, il se glisse organiquement dans l’architecture  des parcelles. Il n’est plus une barre qui coupe ou obstrue l’espace, (demande de Lamine Diarra,  directeur du festival) d’une cour. Chacun peut choisir son angle, sa distance, tourner son siège,  inscrire son corps dans le confort d’une attention sans avoir à subir une fixité qui oblige à une  direction du regard. Le lien avec les agencements existants se fait simplement. Le point de vue  est autant une intention théâtrale que le vécu de chacun. Le jeu entre dramaturgie et expérience  s’équilibre.

A Bamako, le projet des chaises a été développé par Ikyeon Park, Marc Vallès, Elie Vendrand  Maillet, Cyril Givort (pour les lumières), avec Clara et Siriman et des étudiants de l’Ecole Nationale  des Arts. Elles deviennent l’écriture visuelle du festival. La vision de leurs déplacements et de leur  installation ici ou là est une performance qui annonce. La scénographie du festival est le  mouvement de ces objets, à la fois technique et chorégraphié. Nous sommes accueillis dans un  quartier, une rue et alentour, les spectacles s’inventent parmi les gens, le temps des répétitions  compte autant que celui des représentations. Pas besoin de décor. L’essentiel s’invente avec ce  qu’il y a et chacun sait où cela se passe, les gens vous disent où aller. Les spectacles sont pleins.

La boite scénique est un fantôme glorieux de la scénographie et de l’idée même de théâtre. Une  présence naturalisée qui colonise les pratiques. Ceci bien au delà de la sphère européenne (elle  n’est pas le seul fantôme, les conventions de jeu, l’idée de décor ont aussi la vie dure). Cette boîte  scénique hante lorsque l’on entre dans une cour et que l’on commence à en imaginer le devenir  scénique, à y inscrire de la fiction. Distance, frontalité, cadre (même si invisible) viennent à  l’esprit. Grammaire réflexe du scénographe et du metteur en scène. Des acteurs aussi. Elle veut  inscrire des repères connus dans l’espace, indispensables, croit-on, à l’écoute d’un texte, à  l’expérience fictive. Mais les cours résistent, leurs dynamiques disent autre chose, elles renvoient  à un autre fantôme, ante-colonial, celui de la veillée, du conte et de l’espace qui va avec. Mais pas  que ! Elles ne sont pas si grandes, elles sont parsemées d’éléments et de présences diverses,  arbres, objets divers, briques, animaux…. Elles invitent à penser l’espace scénique et son  inscription dans le présent.

Ce jeu entre les fantômes et les potentiels de création est une tension féconde qui s’expérimente  au quotidien, ici à Bamako.

Jean-Christophe Lanquetin



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