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« L’évacuation de l’humain par l’image qu’opèrent les médias…
Judith Butler

Judith Butler, Vie précaire, Ed Amsterdam 2005, pp 180 et suiv.

« (…) l’évacuation de l’humain par l’image qu’opèrent les médias doit être envisagée dans le cadre plus large du problème des schèmes normatifs d’intelligibilité qui définissent ce qui sera et ce qui ne sera pas humain, qui établissent quelle vie sera vivable, quelle mort sera digne d’être pleurée. ces schèmes normatifs n’opèrent pas seulement par la production de représentations idéales de l’humain, par la production de représentations distinguant ceux qui sont plus ou moins humains. Ils produisent parfois des images du moins qu’humain sous l’apparence de l’humain, pour montrer comment il se déguise et risque de tromper ceux d’entre nous qui croirait reconnaître là, dans ce visage, un autre humain. Mais parfois ces schèmes normatifs fonctionnent justement en ne fournissant aucune image, aucun nom, aucun récit, comme s’il n’y avait jamais eu de vie, jamais eu de mort. Ce sont là deux formes distinctes du pouvoir normatif : l’une opère par identification symbolique du visage et de l’inhumain, réalisant par là la forclusion de notre perception de l’humain dans la scène; l’autre fonctionne par effacement radical, en sorte qu’il n’y a jamais eu d’humain, jamais eu de vie, en sorte que le meurtre n’a jamais eu lieu. Dans le premier cas, le caractère clairement humain de ce qui a déjà émergé dans le domaine de l’apparence est contesté; dans le second cas, le domaine public de l’apparence est lui même constitué par l’exclusion de cette image. La tâche qui nous incombe consiste à établir des modes de vision et d’écoute publiques qui puissent répondre au cri de l’humain à l’intérieur de la sphère de l’apparence, sphère dans laquelle la trace de ce cri a été soit exagérée de façon hyperbolique, afin de rationaliser un nationalisme insatiable, soit totalement effacée, ce qui en définitive revient au même. C’est là sans doute une des conséquences philosophiques et figuratives de la guerre, parce que la politique – et le pouvoir – opèrent en partie par le contrôle de ce qui peut apparaître, de ce qui peut être entendu. »



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