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Mayotte-Royaume des Fleurs-
esquisser#5
Lucie Mao & Nicolas Verguin

Lucie > Au départ, c’était les barricades, les plaques de tôles, les barreaux aux fenêtres, ça m’a beaucoup marqué. Je passais aussi devant une décharge tous les matins et au début je pensais faire quelque chose à cet endroit. Finalement j’ai retrouvé des gens autour du stade, il y avait des ruines, je me suis dit que c’était ce lieu là, un lieu de passage où il y a énormément d’activités et en même temps, c’est une ruine, un endroit qui a brûlé et qui a vraiment une histoire bien à lui. Comment les corps peuvent se relier entre eux et se relier aux bâtiments, au bâti, à ce qu’on construit, aux matériaux de construction ? Faire revivre ce lieu qui est une ruine, un ancien vestiaire. Faire des petites chorégraphies, par exemple tout en haut du mur, faire exister comme un agrès de sport, retrouver des gestes, des sensations de corps aussi. Peut-être écrire une chorégraphie à partir de ce lieu et des corps qui passent devant.

Nicolas >Les lieux qui m’ont le plus marqué sont les bâtiments en ruine qu’on peut trouver dans l’espace urbain. Je pense notamment à une façade en ruine que Joyce nous a montrée lors d’une balade. C’est justement ces ruines qui ont inspiré mon projet. Chaque fissure, chaque pierre manquante me fait penser à la fin de quelque chose. Mon projet est donc de redonner vie à ces espaces, au cours de performances. L’idée phare est de transmettre des souvenirs. Il s’agit d’un travail compliqué, car je ne connais pas forcément l’histoire de ces lieux.


Vendredi 24 et samedi 25 septembre, sur 2 après-midi et débuts sont présentés dans les espaces urbains et naturels de Grande Terre une série d’esquisses de projets (performances, installations, vidéos…) quelque chose d’un geste en devenir s’y lit. Les projets ne sont pas finalisés, comment auraient-ils pu l’être en 3 semaines de résidence alors que les étudiants de Strasbourg et de La Réunion venaient à Mayotte pour la première fois. Il leur fallait avant tout commencer à comprendre où ils mettaient les pieds afin produire des gestes suffisamment en résonance avec les réalités très complexes de l’ile. Certains projets devraient être poursuivis prochainement d’autant que certains étudiants nomment leur désir de prolonger un temps leur présence ici.

avec Joyce Hadassa, Pauline Jacquet, Elise Jacques et Abdallah Karim

 

Je m’appelle Lucie, Lucie Mao. Je suis née à Rennes, en Bretagne et toute ma famille vient de Bretagne. Ma soeur, mes parents, mes grand-parents, mes arrières grand-parents et ainsi de suite sur six générations minimum. Tous un peu du même coin, des Côtes d’Armor et du Finistère. Mes parents : Claire Lucas et Gilbert Mao. Mao, souvent on me dit que c’est asiatique mais non, c’est breton, (rire) ça veut dire “le joyeux”.

Du côté de ma mère il y a Rosa et Albert, mes grand-parents et du côté de mon père il y a Marguerite et Albert. Il y a deux noms de fleurs et Albert. Des bretons, tous bretons pur souche. J’ai fait un arbre généalogique mais là je ne me souviendrais plus du nom des mes arrières grand-parents. Je crois que c’était Marie et… Je ne sais plus, je ne sais plus. 

En fait, je me suis sentie Bretonne quand j’ai bougé de Bretagne, c’est-à-dire à 22 ans. C’est une question que je ne me posais pas trop, je me sens plus internationale, les frontières, etc., ça me paraissait hyper loin. En comprenant que j’étais bretonne, j’ai commencé à poser un peu plus de questions. Et j’ai compris que le Breton avait été interdit à l’école. Du coup, on n’avait plus le droit de le parler, mes grand-parents connaissaient extrêmement bien le breton, ils étaient instituteurs, et comme il y a eu cette interdiction de parler breton, plus personne ne parlait Breton, mes grands-parents ne voulaient plus le parler alors qu’ils le connaissaient très bien. 

Je n’avais pas envisagé à quel point l’humain est au centre de tout ça. Pas seulement l’humain mais toute l’énergie qu’il y a là, comment ça rayonne en fait. Le Royaume des Fleurs, c’est parfait comme nom. Je sens vraiment une ouverture et une envie d’aller toujours plus loin dans toutes les directions possibles et ça fait trop plaisir. J’aime beaucoup la danse, je danse pour moi mais sinon, non, pas trop. Au Royaume je danse et c’est comme retrouver des choses que j’avais un peu oubliées.Je danse tous les matins à la salle, je danse, je bouge. 

Cet espace comme agrès de sport.
Une chorégraphie très précise se met en place peu à peu et redessine le lieu.
Des sportifs-performers s’approprient un temps les décombres de cet ancien vestiaire.


Je m’appelle Nicolas Cyril Verguin. Je viens de Savoie, au cœur de la vallée, à Chambéry. Mon petit frère s’appelle Rémy, il étudie à Polytech. Ma mère s’appelle Pascale Du Lieu. Elle vient de Valencienne et a rencontré mon père en Savoie. Elle est institutrice niveau CP. Mon père, Marc Verguin est secrétaire dans l’enseignement. Mes grands-parents maternels sont Christian et Béatrice Dulieu et du côté paternel Roger et Georgette Verguin. Roger a beaucoup fait de recherche sur ma famille. Pour ma part je ne m’intéresse pas vraiment à mes ancêtres éloignés. Ma famille proche pourrait être qualifiée de ‘famille noyau’, une sorte de cocon. Pour ma part, je ne me sens pas rattaché à une région en particulier, je me sens autant chez moi en Savoie qu’à Strasbourg.  

J’ai été très intrigué par le manque de structure dans la construction de la ville. Par exemple, durant les balades sur Petite-Terre je n’ai pas réussi à repérer de centre névralgique (comme la cathédrale de Strasbourg par exemple). J’ai donc dû trouver mes propres points de repère. 

Pamandzi-Labattoir, Ruines au bord du stade. Gravir les marches, escalader la muraille.
Baisser la tête, esquiver un morceau de plafond qui se décroche. Marcher sur des sacs de terre, avancer sur un champ de mines. Franchir le seuil de la maison, traverser le silence vibrant des lieux. Lever la tête sur le plafond ouvert, voir tomber les bombes sur nos têtes. Se recueillir dans la pièce détruite, faire le deuil des murs. Dans ce périple, je déterre des décombres de vieilles histoires.
J’avais prévu d’en dessiner une sur un sol recouvert de poussière. Faute de poussière, je décide de tracer mon récit à l’intérieur de la maison sur les cendres noires de la charpente effondrée. Une série de gestes que j’ai écris d’après la première page d’un livre. Écrire dans la terre les mots que je lis. Après ce moment, je continue d’arpenter les ruines, danser la ruine. J’ouvre les meubles, regarde dans l’armoire, passe la tête à travers la fenêtre, marche en faisant crisser le sol. À chaque pas, les sons du bâtiment se mélangent. La maison s’éveille et le soleil au dessus du stade se couche. J’ai le temps de réaliser une sculpture avec les pierres au sol avant de ne plus rien voir. Je dépose les pierres sur chaque morceau de béton entassé comme autant d’autel de fortune. Un chaos de plus dans le désordre général ou bien une tentative d’ordonner le vacarme. Je laisse derrière moi les traces de mon action, ma sculpture en guise d’empreinte.
Pour dire « Je suis passé par là ».
Je quitte les lieux en dansant.

 

 

 



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