Mayotte-Royaume des fleurs
Barger#écrits
après avoir observer le quotidien des passagers de la barge entre Petite et Grande Terre lors du voyage aller, un groupe d’étudiants et d’artistes mahorais écrivent sur le trajet de retour. L’atelier d’écriture est proposé par Bendji un jeune auteur mahorais qui participe au Royaume des fleurs
Ronflement.
Cassandre Albert
Sur terre et sur l’eau.
Sons du pont, orgue de la mer.
Ronflement des machines, les passagers augmentent le volume de leur voix. Le paysage vrombit, flouté par les moteurs.
Temps de traversée et de repos.
Poisson long qui papillonne à la surface.
On baille, on plisse les yeux sous le soleil, on s’allonge sur les bancs. On se déchausse, on s’interpelle, on circule.
Beaucoup de personnes interchange de place, reviennent, repartent, chaises musicales. Paroles qui ne paraissent pas se répondre dans une langue que je ne connais pas. Pour l’instant, seulement un homme et une femme n’ont pas bougés.
Des mots sont gravés sur une bâche sale qui protège les voyageurs.
Dans le sens de la marche on avance vers le soleil.
Croisement de mon retour, à tout à l’heure!
Tissus à fleurs noir et blanc. Les cheveux retenus par un foulard. Visage peint de bois de santal. Boucles d’oreilles en or. Deux petites planètes au bout du lobe.
Klaxon. Une femme, un casque de moto vissé sur la tête et habillée de tissus de milles couleurs, en fourche sa moto. Top départ du Rallye!
Lucie Mao
Un jour je suis monté dans la barge, tout le monde était content pour ceux qui sortent de l’école et ceux qui sortent du travail, il y a ceux qui sont fatigués, ceux qui sont contents de rentrer chez eux, ceux qui cherchent du travail, ceux qui ont des rendez-vous, il y a ceux qui parlent entre eux, ceux qui regardent la mer, ceux qui écoutent de la musique en réfléchissant, il y a aussi ceux qui regardent les autres, ceux qui regardent le soleil et qui mettent leur lunette de soleil. En montant dans la barge, tu entends le vent et les bruits de moteur. Tu entends « alors ça va ? » « Ça va et toi ? » « En fait, c’est comment ? » « Oui la famille va bien. » « Non je ne te connais pas mais je vais descendre en premier les élèves dans la barge. » On les reconnait facilement, ils portent des sacs pour prendre le bus. Les touristes prennent des photos pour avoir des souvenirs. Je suis descendu de la barge, je vois plein de couleurs différentes, des vêtements de toutes sortes, plusieurs couleurs de peau. J’ai vu un bébé aussi. J’entends la sirène des pompiers et de la musique. Je vais aller faire un tour, je vois des gens qui vendent des vêtements. Je vois des statues, des gens et des gens qui prient.
Ceux qui montent dans la barge au retour je crois que c’est la même chose à chaque fois. J’ai vu des jeunes avec des drôles de cheveux. Ils étaient en train de parler et de fumer.
Je regarde la barge partir avec d’autres passagers mais je pense que c’est le même délire. Revenons en à nos moutons, je suis sorti de la barge blablabla … C’est une boucle sans fin.
J’entends des bruits d’oiseaux, ça fait piou piou et d’autres bruits chelou.
Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
Oupsi, pour la fin, le cri d’un bébé pleurnichard.
Inssa Hassna – Jesu
Musique électronique ricoche sur l’eau
Sardine suante sur le bateau
590, sirènes
Sirènes stridentes crient à la mer
Le turban bleu s’envole.
Tissus brillants, scintillent
Ronronnements de la bête, sur son dos nous glissons.
Râle sauvage surgit des profondeurs.
Les voiles de bateaux entourent les femmes. Couverture de survie, couverte de motifs de couleurs.
Doucement s’éloigne, vers l’horizon.
Tresse de laine rouge tisse le chemin
Murmure discussion secrète
Roulement de tambour pour l’arrivée.
Mots à voix basse, cachés
La route s’élève et s’envole : piste de décollage pour les oiseaux.
3 petits cailloux jetés dans l’eau, ricochet géologique.
Trésors trouvés puis perdus.
Quotidien ennuie, quotidien survie
On se réenroule dans nos étoffes – vite pas de temps –
A peine arrivée, à peine partie
Je renoue, je rattache, je ressers.
Toute la mer disparaît avant l’arrivée.
Banc de poissons déversés
Garance Rolland
Sonne l’heure du départ, rugissement déchirant qui ne veut pas quitter le bord
Son ventre, antre alourdi, il ronronne et ronchonne de cette danse
Sisyphe et son rocher, Polé et ses trajets
Incessant aller retour
Eternelle vacillement entre deux sœurs distantes séparer par la même mer
Repart encore, avance encore
La terre toujours s’en va et se rapproche
Partir revenir
A bras tendue à flots tendue
On déchire, on glisse sur les eaux
Et ces drôles de choses sur son dos.
Ils montent, ils rampent, ils courent.
Avant de déverser ce contenue nauséeux sur la rive
Le vomir ou le confier amoureusement c’est pareil
Toujours repartir
Alice Chapotat
Je choisis une place à l’étage, au soleil. Je crame un peu mais je kiffe, je prends. Je me branche. Je me recharge. Nous sommes encore à l’arrêt.
Il y a des corps qui nous rappellent à leur fonction, un militaire en contrebas, la PAF [comme un coup, le bruit d’une claque ?], Évasan 976, deux personnes portent des gilets blancs. J’ai cherché la définition, Yohann dit, c’est comme un évanouissement, j’ai googlé, mais c’est pas ça du tout, quoique… J’apprends que le terme est essentiellement utilisé dans le cadre militaire. Nous partons. Nous traversons.
C’est une respiration.
La grande terre me regarde et je la regarde aussi.
Il est question de tout oublier, de vivre la traversée individuellement, de s’isoler – Isoler / Isolat / Insula – devenir une île parmi le paysage archipélique.
La bâche blanche qui protège les passagers du soleil vibre au vent.
C’est une respiration.
Le moteur a changé de régime, nous approchons.
Un homme en bleu au premier étage fait un geste de la main, il accompagne notre débarquement. Nous sommes les seuls ici à traverser juste pour la traversée, juste pour être là. Il est 16h20. En face, l’heure est rouge. Aller. Retour.
Un fourgon de la gendarmerie débarque aussi, l’un d’entre eux sort pour interpeller un homme dans une voiture. Il ne faut pas rester là me dit-on. On me rappelle au rythme de la foule déferlant sur le Port. Je suis foule, full, chargée à bloc. L’heure est rouge, entre deux temps, ça clignote.
Je flotte je flotte je flotte mais je ne suis pas sûre que mon amnésie soit réussie.
Myriam Omar Awadi
Son sifflement long aigu dans l’air les gens assis calmes familier le temps de la barge un trajet quotidien qui est aussi voyage grand voyage court ordinaire sirène grondement sourd moteur en montée la barge glisse la terre glisse lenteur multiples immobilités tête baissée smartphone attente grondement temps suspendu quelques-uns marchent on se lèvera tous marchera silence murmures petits groupes seuls moteur tout le monde la société mahoraise dans son entier assise immobile dans la barge par petits groupes la barge c’est l’île a l’avant près de la sortie petit tremblement de terre continu la mer pivote le monde les îles lent légèrement ondulant vent douceur dans l’épaisse chaleur tout est lent tout va s’agiter glissement vers l’arrivée le ronronnement cesse montent les voix les pas sur le métal les corps s’agitent marchent dans la même direction vers l’avant sirène la porte descend légère secousse de l’arrêt voitures motos foule en marche le monde à nouveau ne jamais construire un pont.
Jean-Christophe Lanquetin