MAYOTTE-ROYAUME DES FLEURS-
ESQUISSER#2
Alhad Mariama & Agathe Vilain
Lavigiedanse, un événement d’Alhad Mariama et d’Agathe Vilain dans le quartier de la Vigie
A la vigie, sur le rythme de la musique, en dansant, les habitants fabriquent une toile d’araignée géante en fils de laine.
Passer sous le fil, entre les fils, sur le fil, au-dessus du fil, contraindre le corps. Regarder ces liens se former petit à petit jusqu’à créer des nœuds, des zones de rencontre. Regarder comment le quotidien se met en scène.
Je m’appelle Agathe Vilain…, je suis née à Paris. Je suis la fille de Boris…, du nord de la France et Sophie…, qui est parisienne. Je suis issue d’une grande famille matriarcale où les valeurs traditionnelles sont très présentes. Mon arrière grand-mère gérait toute la famille. Mes grands-parents se sont rencontrés pendant la guerre. Mon grand-père travaillait à la Croix Rouge, il ramassait les corps au bord de la route.
J’ai quitté Paris pour étudier à Strasbourg. Paris reste pour moi mon lieu de vie parce-que c’est dans le quartier du 11ème arrondissement que j’ai grandi.
Venir à Mayotte est une continuité de mon apprentissage à la HEAR. Je souhaitais découvrir par moi-même ce territoire particulier qui est la France sans être la France, bercé par la culture africaine. Je ressens les injustices des mahorais par rapport à la métropole. Petite terre est un territoire très familial malgré les quartiers et les populations différents. Finalement ce sont les histoires des gens qui m’intéressent plus que le territoire. J’aimerais revenir pour continuer ce projet, trois semaines ne suffisent pas.
L’engagement et la force des gens pour le Royaume qu’ils soient en service civique, employés ou bénévoles me frappent. Ici tout le monde marche dans le même sens.
Je retrouve le même processus de recherche qu’à la HEAR : le geste qui raconte, l’objet qui raconte, la lumière qui raconte, le public qui raconte. Et puis je retrouve la vibration de la danse.
Mon regard s’est posé en particulier sur la Vigie à travers celui d’Elhad. Je partage les rires, les signes, les gestes pour communiquer avec les enfants du quartier. J’y ai rencontré la famille d’Elhad et puis un groupe de musiciennes, les mamas qui font leur petit business, les jeunes qui alertent les sans-papiers de l’arrivée des autorités. Ici la position des corps me frappe, à la fois contrainte et libérée. Ici le quartier n’a pas de noms de rue. J’ai pensé animer des ateliers participatifs pour imaginer des noms, dessins, logos pour nommer les rues à partir des panneaux de signalisations français. Avec Elad, on a fabriqué une carte pour réaliser que tous les chemins mènent à la Vigie.
Je vais réaliser le teaser d’Elhad qui va annoncer son projet annuel.
Si je devais nommer ce projet, ça serait complicité et confiance parce-que c’est ce que je vis ici avec les danseurs et tous les autres.
Je m’appelle Alhad Mariama et je suis né aux Comores. J’ai gardé le nom de ma mère, qui est Comorienne et Malgache, par contrainte administrative et aussi parce-que j’ai grandi avec elle. Mon père, Alhad Armada qui est Comorien et Africain est mort quand j’avais 12 ans et c’est à ce moment là que j’ai changé de nom. A Madagascar, j’ai des liens familiaux mais je n’y vais pas. Je préfère aller aux Comores car j’y ai plus de famille. J’ai aussi des liens avec ma famille du Sénégal et d’Afrique du Sud mais ils sont moins forts. Ça fait plus de 12 ans que je suis à Mayotte et ici je me sens chez moi. J’ai découvert la différence, une nouvelle manière de vivre et d’être. Mais je me sens Comorien parce que les Comores, c’est toute mon enfance.
Le Royaume des Fleurs a changé ma vie. J’ai rencontré Djodjo qui m’a appris mon métier de danseur. Je lui en suis très reconnaissant. Ici nous sommes dans une fabrique artistique. Les portes sont ouvertes pour échanger, pas seulement travailler. J’aime les rencontres qui m’ouvrent l’esprit.
Cette résidence m’apporte beaucoup professionnellement et personnellement. Avec les étudiants et les artistes, j’ai appris à partager ma différence. J’ai rencontré Agathe qui me donne beaucoup d’énergie, d’ouverture et de soutien. Chacun d’eux m’a donné quelque chose que je vais continuer à développer pour m’améliorer.
La Légion Étrangère, où ma mère a rencontré mon beau-père, qui est une belle personne. Mais c’est la Vigie, un lieu très important pour moi, où je travaille, que j’ai choisie pour mon projet.
Le titre que j’ai choisi est “Ce n’est pas parce-que je suis silencieux que je ne parle pas”.
Je vais réaliser un teaser pour annoncer mon projet avant de continuer à développer dans les mois à venir.
Oui, oui, je suis en colère
Quand on me traite de voyou et de voleur
Alors que moi je traverse le large pour une vie meilleure
Abandonné par les miens dans un quartier malfamé
Pour m’en sortir je traine avec une bande rilichua namadoamana
Alors oui, je suis un voyou
Qui veut s’en sortir
Alors oui, je suis un voyou
Qui veut réaliser ses rêves
Alors oui, je suis un voyou
Mayotte nous a abandonnés alors qu’ils ne savent pas ce qu’il y a au fond de nous Je me demande s’ils se posent la question
Pourquoi nous sommes ce fameux mot : voyous
Oui, alors oui, je suis un voyou
Ce n’est pas parce que je suis silencieux que je ne parle pas
Etranger chez moi
Et si on se regardait
La vigie, un quartier sensible pour les autres
Pour moi une manière de survivre
Oui, je suis en colère
Mais j’ai jamais douté
Ces jeunes, je me vois en eux
Toujours avec le sourire
Alhad Mariama
– «Là où tout à commencé, là où on dansait».
Et si je racontais son histoire ? Sur un mur du stade, petit à petit, en collage.
Coller le geste. Laisser la trace d’un mouvement qui parle et qui raconte.
Créer une légende urbaine. Des petits marchands de rêves.
Sur la vigie, les gens se trompent, ils ne connaissent pas l’histoire.
«Zone de rencontre» – parapluie partagé
«Parle moi en français, le shimaore je comprends rien». (rires)
Je me balade avec les enfants de la vigie, j’ai mal aux joues à force de sourire, on se touche, on s’appelle,on se regarde, on invente une manière de se parler; français- shimaore-gestes
– «Agathe, tu marches comme un escargot !»
– «Alors collons un escargot à l’entrée de cette rue, prudence ! »
Il faut donner des noms de rue à la vigie !
Dans ses rues, des centaines de câbles distribuent l’eau, l’électricité, les évacuations et les fils à linge… Toutes ces lignes dessinent des espaces, soulignent le quotidien, forment des obstacles.
«Je suis perdu(e)».
Passer sous le fil, entre les fils, sur le fil, au dessus du fil, contraindre le corps. Regarder ces liens.
Amplifier le quotidien. Exagérer les passages difficiles.
«Le rouge ça fait peur ! »
Les murs ont des oreilles – cartographier l’expérience
– «Ce n’est pas parce que je suis silencieux que je ne parle pas».
– «Son sourire me fait voyager».
Ma manière de rentrer dans cette aventure c’est ma connexion avec Elhad. Il me fascine. Et si c’était le début de quelque chose ? Une invitation au voyage, au voyage de ces habitants.
Qu’ils racontent leur histoire.
Comment amplifier leur quotidien, lui donner de l’attention ? Interroger le décor urbain et les objets du quotidien, les métamorphoser. Bouleverser les rapports entre public et spectacle : en passant par le processus de création, des ateliers participatifs et collaboratifs.
Parler dans une langue accessible à tous : le spectacle visuel. Mélanger l’expression plastique et théâtrale.
De quoi je parle ? De quoi nous parlons ?
L’apparition et la surprise
Les liens familiaux
La transmission des valeurs et des angoisses
Le couple
Les rêves et les cauchemars
Les manières d’habiter la ville
La colonisation et ses suites
L’utopie sociale et politique
Agathe Vilain