Conakry – Univers des Mots
Alice Chapotat
Alice Chapotat a conçu la scénographie de ‘L’avare en Malinke’ mis en scène par Ansoumane Djessira Condé. Ce spectacle a été présenté en salle au CCFG (Centre Culturel Franco Guinéen) ainsi que dans la cour d’un maquis de la Ferme Kaporo du quartier Kipé-Kaporo à Conakry.
représentation au CCFG (Centre Culturel Franco Guinéen)
Il suffit d’un voyage pour déplacer. Déjà pour déplacer le corps géographiquement, mais
aussi pour déplacer le savoir et le sachant.
Ce voyage m’a remis dans les bottes d’une ignorante. En plein de points je ne savais plus rien.
Le plus marquant, c’était cette phrase répétée en boucle lorsque l’on marchait en ville :
« doucement, marche doucement »
Je dois avouer qu’au début ça m’agaçait beaucoup. Je n’aimais pas être à ce point
infantilisée. Mais très vite je me suis rendue compte qu’effectivement je ne savais pas me
déplacer dans cette ville. On ne marche pas pareil à Conakry ou à Paris.
Déjà, car il fait chaud, très chaud, les corps s’épuisent vite. Marcher rapidement lorsque
l’on est pas habitué à cette chaleur, c’est se mettre en danger. Il faut donc ralentir pour se
préserver.
Et puis l’espace urbain n’est pas le même.
À Conakry la ville est un espace commun, habitée et vivante.
Il m’a donc fallu observer et apprivoiser les mécaniques de déplacement et d’investissement des rues. L’attention à ce qui m’entoure était permanente pour ne pas rentrer dans les gens, dans les stands de nourriture ou de fournitures parfois installés à même le sol.
Le simple fait de traverser la route est un apprentissage. Il faut comprendre cette étrange ballet
qui s’opère entre le flot quasi continu de voitures et les passants qui s’élancent et évitent les véhicules. Il faut attendre le moment opportun où un espace suffisamment grand se crée et bondir à son tour. C’est une opération de haute voltige qui demande beaucoup de réflexion d’autant plus qu’il n’y a pas un seul feu rouge, ni un seul passage clouté.
Je n’étais pas habituée a pratiquer la ville de cette manière.
Mes pieds et mes yeux ont dû réapprendre de nouvelles façons de voir et de marcher.
Tandis que ma bouche et mes poumons, eux, devaient s’habituer à cet air lourd et humide qu’il est si difficile de respirer, surtout aux heures les plus chaudes.
À Conakry il y a trois journées en une. Le temps est espace, il se solidifie et nous encercle, on le touche presque du bout des doigts avant qu’il ne disparaisse, englouti par les nuits agitées.
Au zénith, mon corps devenait lourd et le heures étaient longues, j’étais assommée. Le
monde est épais et lourd, personne ne s’arrête mais l’on sent la vie se ralentir et se retenir. C’est une chorégraphie de la lenteur. Je devais m’économiser, mes gestes étaient rares, mes mouvement calmes et doux. Mon corps pesant se déplaçait péniblement sans conviction autre que la nécessité de faire.
Puis, lorsque le soleil commençait à être plus clément et nous laissait du répit, la ville se remettait à respirer et l’on sentait un second souffle raviver l’énergie des habitants.
Le temps reprenait de sa consistance il redevenait liquide et nous coulait des doigts.
Je sentais de nouveaux mon corps vibrer et se réveiller de ces après midi interminables.
Alors de nouveau j’étais active et parcourais la ville, emportée par sa fraicheur.
A Conakry, mon corps a changé. Perdu au milieu de l’inconnu il a du s’adapter et faire un travail d’apprentissage que jamais je n’avais pensé devoir refaire un jour.
Alice Chapotat