Mayotte-Royaume des Fleurs
esquisser#8
Garance Rolland
Je suis arrivée à Mayotte sans avoir d’idée de projets préconçus, mais en sortant de l’avion dans la salle de récupération des bagages une première image m’a frappé. J’ai été étonnée de voir comment le douanier jouait avec son chien. Celui-ci supposé dangereux remuait la queue et se roulait au sol. Par la suite j’ai continué à m’intéresser à la relation des mahorais avec leurs chiens.
Le deuxième chien que j’ai rencontré est celui de Jesu, il s’appelle Gobbo : le meilleur au combat. J’ai d’abord essayé de lui faire une caresse comme on peut le faire facilement en métropole mais avant que je le touche son maître m’a fait comprendre gentiment qu’il ne fallait pas agir comme ça avec son molosse. J’ai donc discuté avec Jesu qui m’a renseigné sur les chiens de l’île. Il m’a appris que certaines personnes avaient des meutes de 100 chiens dans des champs. Intriguée, j’ai demandé à voir. J’ai donc rencontré C. et une partie de ses chiens. Je lui ai demandé s’il était possible de les ramener dans les rues de Dzaoudzi-Labattoir. Une nuit donc, une fois que les habitants de la ville étaient endormis, on a sorti les chiens. Une vingtaine de chiens en liberté, guidés seulement par les sifflements de leur maitre. Je voulais confronter les ruelles étroites remplies la journée de voitures et d’habitants à cette vague canine. A la caméra les yeux des chiens brillent comme les phares de voiture et la poussière des rues formes des nuées mystérieuses. J’ai joué avec ces images magiques et insolites pour déplacer et apporter une forme de douceur à cette image de la nuit souvent perçue comme dangereuse.
J’ai choisi de projeter cette vidéo sur le mur du stade à un endroit tagué. Les spectateurs sont installés de l’autre côté de la route très passante. Devant la vidéo qui projette les rues remplies de chiens à une échelle proche de la réalité passent les habitants et les voitures. Ils rentrent dans l’image et prennent part involontairement à l’événement. Ce sujet d’habitude problématique est ici sur-exposé et détourné de sa perception commune, on ne parle plus de ces jeunes qui dérangent le voisinage mais de la poésie de cette balade nocturne.
J’ai aussi porté mon intérêt sur d’autres lieux pour en faire de courtes et discrètes performances qui n’ont pas toujours fonctionnées, des sortes d’expérimentations. Celle que je présente aussi est une chorégraphie sur muret performée par Lucie, Nicolas et Karim. Ce mur sépare le stade en deux. D’un côté, des gradins pour voir les matchs de basket et de l’autre le stade. Quand il y a des matchs le dernier gradin est rempli. Vue du stade on observe une rangée d’homme de dos avec des t-shirts de couleurs. De ce côté on ne voit pas le terrain de Basket alors on peut de demander ce qu’ils regardent. Dans ma vidéo j’ai demandé que les performeurs arrivent puis s’installent dans le bon sens et enfin se retournent vers les spectateurs avant de partir. Je voulais renverser la situation : que les spectateurs du match de basket se demandent ce que regardent ces autres spectateurs à contre sens.
Je m’appelle Garance Rolland, j’ai grandi en Bretagne. Mes parents vivent à Paris. Mon père s’appelle Christophe Rolland, il est breton et ma mère s’appelle Sanda Men Makoth. Mes grands-parents paternels Michel et Michelle Rolland alias Mamgoz et Tadkoz sont Breton et Alsacien. Mes grands-parents maternels s’appellent Louisette et Men Makoth, ils sont du Cambodge et de Paris. Je garde des liens avec ma famille cambodgienne parce qu’elle a migré à Paris, mais je ne connais pas le Cambodge. Moi, je me sens bretonne et cambodgienne car j’ai été bercé par pleins d’histoires de mes deux origines.
Je suis très heureuse de découvrir une culture différente, d’aller à la rencontre des gens, de travailler à partir de leur histoire. Ces liens que nous créons sont aussi pour des projets futurs. Ici j’habite à Labattoir, dans une maison qu’on a appelé “le loft”. On vit tous ensemble, métropolitains et mahorais.
Au Royaume, quand je danse, c’est le regard du spectateur qui m’enrichit. Ça me permet de me mettre dans la peau du public. Ce qui est important pour une scénographe !
Cette résidence au Royaume des Fleurs m’a permis de faire des rencontres incroyables et d’apprendre une nouvelle façon d’aborder la construction d’un projet. Je pense maintenant qu’il faut croire et avoir confiance en ses premières intuitions mais en se laissant la liberté d’expérimenter d’autres pistes. J’espère qu’on réussira un jour à réunir tout le groupe pour d’autres beaux projets.